Où Flamenco flirte avec l’érotisme...

"Carnet de voyage" dans la chaleur hivernale espagnole

             Le récit est celui d'un voyage. Un voyage à un millier de kilomètres au sud de la France ; là où les palmiers deviennent des arbustes d'une banalité au sein des rues et où les orangers sont couverts de fruits, où les hivers sont agréables et riches en soleil. J'ai posé ma valise en Andalousie, cette belle Andalouse qui a fait tant chavirer le cœur des écrivains et des voyageurs, parmi lesquels Ernst Hemingway, Federico García Lorca et James Joyce. La personnalité de cette région était telle que je savais que je n'aurais pas le temps de tout découvrir. Cependant, une chose me semblait absolument impossible à rater, la découverte d'un art flamboyant mêlant les deux plus belles choses au monde : la danse et la musique. Il m'était inimaginable que je puisse passer à côté de cet art si caractéristique de la culture espagnole, culture dont j'ignorais tout.

           

            Un soir, à Grenade, je me laissai guider par un bus, vibrant de ce désir musical qui s'était emparé de moi, jusqu'au quartier gitan situé au nord de la ville, en face du palais de l'Alhambra, magnifique monument de l’art islamo-chrétien. Dans ce quartier, une taverne proposait des représentations de Flamenco où des professionnels nous reçûmes, serrés les uns contre les autres et un verre de sangria à la main. Je me trouve une place dans un coin de la salle, intriguée et ignorante de ce à quoi j'allais assister.

            Les lumières de la salle s’éteignirent, celles du spectacle prirent le relais. Alignés dans la longueur de la petite salle, cinq chaises contre le mur. Le premier installé est le guitariste ; penché, presque couché sur sa guitare flamenca, il entame le début ; à ses côtés le cantaor – le chanteur – est concentré, l'air grave. Il est « l’ancien ». D'abord silencieux, celui-ci ne débutera son chant que bien plus tard. Les danseurs arrivèrent : deux femmes précédées d'un jeune homme, vêtues de tenues traditionnelles, prirent place à leur tour. L’ensemble était au complet.

            Le spectacle à déjà commencé. Et, à cause de ma méconnaissance de cette musique, j'ai un mal fou à dissocier les passagers improvisés des mélodies ; ce sont pourtant des classiques, qu'ils apprennent dès les débuts. Néanmoins, j'en reste ébahi. Je ne suis pas seulement impressionnée par la maîtrise et la fluidité – le cœur y est, c'est sûr – mais par le chanteur qui expire toute sa passion, les yeux clos, et qui l'exprime de sa voix puissante et généreuse en mélismes – les Andalousiens nomment ce type de chant le cante jondo, le chant profond, et sur ça, je ne pouvais qu'être d'accord avec eux. Dans leurs coins, les bailaora et bailaor – nos danseurs – échangent entre eux des paroles et des regards ; puis un à un, ils se mettent à suivre la musique en s'adaptant au rythme.

            La première danseuse s'élance avec des mouvements lents, ses mains se lèvent vers le plafond, ses doigts sont agiles et ses poignets tournent dans le vide. Tout à coup, le guitariste s'embrase, en fusion ; son corps exulte la musique ; ses pieds battent le sol et il y en est de même pour le reste de son buste, qui se redresse un peu plus. Son visage se tord, oscillant entre grimace et sourire.

            La danseuse est en transe. Avec les mains et les doigts, elle effectue des figures expressives et sensuelles appelées floreos, elle percussionne vivement avec ses talons – le zapateado. La bailaora parcourt l'ensemble de la salle, chaloupant avec grâce des hanches et des pans de sa robe. Imperturbable, haletante, le rythme devient plus fiévreux. Il ne cesse de s'arrêter et de reprendre de plus belle. J'admire la précision de ses claquements qui se font leste, surtout lorsqu'elle se met à tourner sur elle-même.

            La seconde danseuse est tout aussi talentueuse. Bien que débutant calmement, jouant seulement de ses castagnettes, elle n'attend qu'une seule chose : rentrer dans la danse.  Encouragée par ses compagnons, elle danse, plaque de nouveaux rythmes en faisant des claquettes et déploie les pans de sa robe en découvrant, furtivement, le bas de ses cuisses. Son expression passionnée, tout aussi unique que celle de la première danseuse, m'émerveille.

La prestation masculine est poignante. L'homme, tirant sa veste en avant, a le regard droit devant et le corps cambré. Il possède un panel de mouvements légèrement différent de celui des danseuses. Ses mains vont de haut en bas, ses doigts claquent et tapent le rythme sur ses genoux et son torse. La position de ses bras évoquent un prolongement infini de son corps.  Ses claquettes ressemblent à ceux de ses comparses mais avec plus de pas chassés et de glissements au-dessus de la piste de danse. Des mouvements de têtes, parfois saccadés, suivies de brefs regard sur les côtés ponctuent à leur manière la musique.

 

C’est après un retour progressif à la réalité que notre chanteur et notre guitariste, épuisés par cette transe, achèvent la représentation. Autour de moi, les spectateurs, comme moi, sont pour la plupart sonnés – est-ce à cause de la sangria ou de la musique qui nous est montée à la tête ? Je n'en sais rien. Au plus profond de moi, j'étais partagé entre gaîté et tristesse car c'était bien trop court – d'un côté, je comprenais le sens même du Flamenco et la passion qu'y mettaient ceux qui le jouaient. C'était un sentiment qui se provoque, à l'état pur, en se collant à la peau de celui qui l'exprime et de celui qui le reçoit. Le Flamenco est une façon d'être, dénué d'artifices, il va à l’essentiel et exprime la vie dans son ampleur. Il la célèbre. Je peux dire que ce spectacle entre danse et musique, corps et esprit, m'a exaltée. Je n'avais jusqu’à maintenant jamais assisté à une expression aussi intime de l'âme espagnole, mêlant le désir et les souffrances, à un art aussi impressionnant et pure que celui du Flamenco. ¡Ole! 

 

Petit plus...

Gounod Blaster étant tout d'abord un journal traitant la musique, voiçi une petite playlist de musiciens gravitant dans le monde du Flamenco :

- Cameron de la Isla : https://www.youtube.com/watch?v=3KZyy8Oc1QA 

- Manuel Torre : https://www.youtube.com/watch?v=qfOHHaldL3g

- Thomas el Nitri : https://www.youtube.com/watch?v=UxfRoZGeJC0

- Curro Molina : https://www.youtube.com/watch?v=M0YMs7Ew2JE

"Escuchar y disfrútalo!" ^^

 

 

[ Merci à Elian Malet pour le coup de pouce et particulièrement le vocabulaire hispannique (Les joies et handicaps de l'allemand LV2...) ]

 

 

Publié le : 26/02/2019 à 18:16
Mise à jour : 01/06/2019 à 17:26
Auteur : Béa Cinotti
Catégorie : Découverte

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