Debussy et la nature

La musique et sa relation avec les autres arts

     Claude Debussy était 1. Claude Debussy, La Mer, Trois esquisses symphoniques, 1905sensible à la nature ou, du moins, il s’en inspirait particulièrement. Nous nous en rendons bien compte dans les titres de ses œuvres telles que la symphonie La Mer (1905), la suite symphonique Printemps (1887 et 1908), ou certains de ses préludes « Brouillard » et « Feuilles mortes » (1910 – 1912), notamment. Ces œuvres sont comme des tableaux qui se composent au fur et à mesure de l’écoute, ce qui ne nous paraît sûrement pas un hasard lorsqu’on sait que le compositeur était entouré d’artistes, aussi bien des peintres que des écrivains. Il aimait les arts, il possédait lui-même un certain nombre d’œuvres d’origines variées (des estampes japonaises, des tableaux de Whistler et de Turner, des instruments de musique d’Extrême-Orient). Il semblait apprécier les œuvres asiatiques comme La Vague d’Hokusai, dont il s’est inspiré pour illustrer la couverture de La Mer (illustration 1).  Cette inspiration asiatique se retrouve également dans son œuvre « Poissons d’or », dernière pièce de ses Images, qu’il a vraisemblablement composée en ayant à l’esprit la laque qui était accrochée dans son atelier, elle aussi intitulée2. Claude Monet, Nymphéas au soleil couchant, 1907, Londres, National Gallery Poissons d’or.
     Debussy mêle alors les arts visuels à sa musique et en fait jaillir certaines images, et peut même nous faire penser à certains tableaux comme ceux de Turner, de Degas ou de Monet, pour ne citer qu’eux. L’écoute de la première pièce de ses Images, « Reflets dans l’eau », a souvent été rattachée aux Nymphéas de Monet (illustration 2). L’image du calme de l’eau y est clairement suggérée par la nuance pianissimo de l’œuvre. Quelques mouvements descendants puis ascendants font d’ailleurs paraître un effet de miroir sur la partition, comme le reflet de l’eau (illustration 3). L’effet de fluidité liquide est flagrant, les mouvements de mains du pianiste paraissent aussi naturels que l’eau ruisselant sur les pierres d’une rivière. La couleur de la mélodie est très importante pour le compositeur et ceci au sein de toutes ses œuvres. Sa musique permet à l’auditeur de visualiser sa pensée.3. Claude Debussy, extrait de "Reflets dans l'eau", Images, 1905

     La musique semble être un ensemble de vibrations naturelles pour Debussy, un art qui découle des4. Joseph Mallord William Turner, The Scarlet Sunset, c.1830-40, Londres, National Gallery éléments de la nature, quand il affirme dans Musica, mai 1903 : « La musique est une mathématique mystérieuse dont les éléments participent de l’Infini. Elle est responsable du mouvement des eaux, du jeu de courbes que décrivent les brises changeantes ; rien n’est plus musical qu’un coucher de soleil ! Pour qui sait regarder avec émotion c’est la plus belle leçon de développement écrite dans ce livre, pas assez fréquentée par les musiciens, je veux dire : la Nature… Ils regardent dans les livres, à travers les maîtres, remuant pieusement cette vieille poussière sonore ; c’est bien, mais l’art est peut-être plus loin ! ». La musique ne serait non pas une création de l’homme exclusivement, mais bien la transcription des mouvements naturels, celui-ci aurait besoin de la Nature avant toute chose pour créer de la musique. Dans cette perspective, lors de ses créations musicales, Debussy avait en tête quelques représentations picturales de la nature, des tableaux la sublimant et faisant ressortir ce qui nous touche le plus directement en elle.
     Selon Christian Goubault, dans son ouvrage Claude Debussy, la musique à vif (Paris : Minerve, 2002), « Debussy est à sa manière un peintre de l’inachevé et de la liberté ». Le compositeur était alors en « harmonie » avec la nature, il suivait son mouvement et se passionnait pour elle. Dans une lettre adressée à Pierre Lalo, du 25 octobre 1905, soit dix jours après la première audition de La Mer, il écrit : « J’aime la mer, je l’ai écoutée avec le respect passionné qu’on lui doit ». Il l’aime et semble la laisser parachever ses « esquisses symphoniques », comme Goubault le dit : « Des esquisses suffiront, comment venir à bout artistiquement de la totalité de la mer et de son indépendance ? ». A travers cette pièce, l’auteur incite l’auditeur à se rapprocher de la mer, à faire corps avec elle en écoutant ses moindres ondulations. Plus généralement, il nous invite à nous rapprocher de la nature et à s’inspirer de sa musique originelle créée par le mouvement des éléments.


BIBLIOGRAPHIE :
NECTOUX Jean-Michel, KALTENECKER Martin, DUFOURT Hughes, Debussy. La musique et les arts. Catalogue de l’exposition. Musées d'Orsay et de l'Orangerie : Skira-Flammarion, 2012.
GOUBAULT Christian, Claude Debussy, La musique à vif. Paris : Minerve, 2002.
SPAMPINATO, Debussy, poète des eaux : métaphorisation et corporéité dans l'expérience musicale. Paris : l'Harmattan, 2011.
DEBUSSY Claude, Correspondance (1872-1918). Edition établie par François Lesure et Denis Herlin et annotée par François Lesure, Denis Herlin et Georges Liébert, Paris : Gallimard, 2005.

 

Publié le : 29/05/2019 à 09:26
Mise à jour : 12/09/2019 à 18:38
Auteur : Nina Carré
Catégorie : La musique et les autres arts

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