HOMMAGE A ENNIO MORRICONE

Il était une fois... Une musique de cinéma.

Portrait d’Ennio Morricone.

Tout a commencé un soir d'hiver. J’avais à peine 10 ans, et dans le salon familial, je visionnais un classique du cinéma. C'était un western dont j'avais souvent entendu parler mais que je n'avais encore jamais vu. Il était une fois dans l'Ouest d'un certain Sergio Leone. Deux heures et demie après, je ressortais de cette séance de cinéma profondément bouleversé. Les dialogues tournaient dans ma tête au rythme de coups de pistolet, les images repassaient inlassablement dans mes souvenirs, et surtout la musique me poursuivait. Elle me hantait, m’obsédait et m'impressionnait. J’étais remué au plus profond de moi. Il s’agissait d’une de mes premières rencontres avec Ennio Morricone, immense compositeur de musiques de films. À l'époque encore, j'ignorais qu'il allait occuper une place importante pour moi. C’était pourtant un moment crucial, le point de départ d’une grande admiration qui n’allait jamais cesser de se renouveler au fil des années, dans mes découvertes musicales et cinématographiques.

Photographie du film Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone (1968).

L'annonce de sa mort le matin du 6 juillet était difficile à accepter. Ses musiques tournaient sur toutes les chaines de radio et les hommages fleurissaient sur les réseaux sociaux. C’était une preuve. Ennio Morricone n’était pas une légende seulement pour moi, pour les cinéphiles, les musiciens ou les mélomanes, mais bel et bien une légende universelle. Alors, moi aussi j’ai succombé à l’envie de réécouter une partie de son œuvre, et pourquoi pas d’y découvrir encore quelques perles rares. Je n’étais pas au bout de mes ravissements.
Il faut dire que son style bien à lui, identifiable dès les premières notes, n'a cessé de se renouveler au contact des réalisateurs les plus divers. Sergio Leone, Dario Argento, Rolland Joffé, Henri Verneuil, Mario Bava, Quentin Tarantino, Giuseppe Tornatore, William Friedkin, Brian De Palma, Pedro Almodovar, Luciano Salce, Warren Beaty et j'en passe. À chaque fois, la musique du compositeur agrège les images avec un pouvoir singulier. Les plans s’animent, les images se teignent d’une couleur particulière. En quelques secondes, le Maestro Italien instaure une atmosphère unique qui se marie avec le tempérament de chacun des réalisateurs. Mais surtout, il a le don de faire vibrer les personnages, eux-mêmes campés par des acteurs mythiques : Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinal, Kevin Costner, Philippe Noiret, Jeremy Irons, Robert De Niro, Monica Bellucci, Henry Fonda, Clint Eastwood ou encore Charles Bronson. Qu’elles passent par le violon ou le saxophone, la clarinette ou la guimbarde, le hautbois ou le piano, la flûte de pan ou l'harmonica, les mélodies de Morricone entrent en symbiose avec les protagonistes et s’ancrent dans les mémoires. Elles participent au succès des films, devenant iconiques voire légendaires.
Il faut dire que rien ne faisait peur à ce grand passionné de jeu d’échecs. Que ça soit dans Les Incorruptibles, La Légende du pianiste sur l’Océan, Peur sur la ville, Malena ou encore Les 8 salopards - pour lequel il a obtenu un oscar -, il savait toujours manipuler les sons avec un talent égal, variant les combinaisons, jonglant avec les styles. Dans tous les cas, c’est sûr, il avait toujours un coup d'avance. Du classique au baroque, du jazz à la pop des années 70 en passant par l’électronique jusqu’à l’expérimental, rien ne l’arrêtait. Il sortait de son chapeau tout un tas d’idées musicales inédites, jouissives, surprenantes, ingénieuses, parfois angoissantes et même déroutantes. À chaque fois, la qualité était au rendez-vous.
Mais la musique de Morricone ne se résumait pas qu’à des mélodies instrumentales, c'était aussi des voix. En, effet, il avait la capacité d’écrire des partitions inoubliables pour des chœurs, par exemple dans The Mission, Outrages, la Trilogie du Dollar ou encore Mission to Mars. Il avait aussi un talent remarquable pour la chanson et un gout sûr pour la voix seule : Elisa Toffoli dans Django Unchained, Joan Baez dans Sacco et Vanzetti, et surtout celle d’Edda Dell’Orso, inoubliable soprano à la voix bouleversante et sublime dans Orca, Seule contre la Mafia, Journée noire pour un bélier, La bataille de San Sébastien, Le Dernier face à face et bien sûr Il était une fois la révolution, Il était une fois dans l'Ouest et Il était une fois en Amérique.

Photographie d’Ennio Morricone et Sergio Leone, deux amis et artistes inséparables.

Du côté du cinéma d’épouvante, le compositeur n'était pas en reste. En Italie, il a su faire vibrer le genre du giallo d’une couleur unique avec L'Oiseau au plumage de cristal, Quatre mouches de velours gris, ou encore Danger : Diabolik. ; en Amérique, il a apporté à L'Exorciste II : l'Hérétique une atmosphère sonore d’une inquiétante beauté ; et, même en Antarctique, dans un style très Carpenter, sa musique étrange et blafarde a donné vie à une chimère extraterrestre très dangereuse pour The Thing. Il excellait encore une fois.


Aucun doute, le répertoire de Morricone est vaste, riche, dense et varié. Nous pourrions presque nous y perdre tant il est difficile de savoir par où commencer lorsqu’il est question de nous plonger dans sa discographie. Alors, comme beaucoup je me suis repenché sur ces bandes originales qui m’ont tant marqué. Des musiques qui ne me lassent jamais, des mélodies qui à chaque fois me surprennent, m’émeuvent, m’impressionnent ou me donnent le sourire : Il était une fois la Révolution, Orca, La Casse, Le Clan des Siciliens, Malena, etc.
J’ai déjà évoqué l’enchantement ressenti à l’écoute de Il était une fois dans l’Ouest. Pour lui rendre un dernier hommage, j’ai eu envie de revenir sur trois autres bandes originales qui m’ont marqué. Des musiques qui à chaque fois me font trembler du plus profond de mon être, et que j’ai plaisir à partager ici.

No. 3:
En visionnant ce film, il est difficile de rester de marbre à la vue des personnages de Toto et Alberto à bicyclette dans les allées italiennes des années 50. Il est aussi difficile de résister à l’ambiance chaleureuse, vivante, animée du pays et du cinéma de l’époque. Mais surtout, il est difficile de ne pas succomber au charme des dernières images de ce long métrage : le personnage principal se projette une bobine de films qui contient un condensé de scènes de baisers issus de vieux films, le tout sur la musique poignante et inoubliable d’Ennio Morricone.
En effet, dans Cinema Paradiso  de Giuseppe Tornatore, c’était encore le compositeur qui était derrière le pupitre pour donner au film ses couleurs uniques. Entre son thème principal qui évoque le souvenir de l’enfance, la légèreté du thème de Toto et Alfredo ou la douceur du thème d’amour, le musicien italien déploie un corpus de mélodies fortes qui se retrouvent, se répondent et se développent tout au long du film. Il s’agissait là, en 1988, de la première contribution du compositeur pour le cinéaste. Le début d’une grande amitié et d’une longue collaboration, dense et qualitative, qui allait produire onze films.

Image du film Cinéma Paradiso de Giuseppe Tornatore (1988) avec Salvatore Cascio dans le rôle de Toto.

No.2:
Cette fois-ci, les rues ensoleillées de l’Italie des années 50 cèdent leur place à un road-trip mouvementé, passionné et ambigu à travers les Etats-Unis d’Amérique en compagnie d'Humbert Humbert et Lolita Haze. Ennio Morricone apporte au Lolita d'Adrian Lyne une dimension nostalgique et bouleversante. La musique qu’il compose est à la fois profonde et retenue, poignante et délicate, en parfaite adéquation avec la démarche du réalisateur. Humbert Humbert, ici campé par Jeremy Irons, ressort comme un personnage attachant dont le spectateur découvre la vie mouvementée et tragique. Les mélodies du compositeur italien ponctuent le récit avec une grande sobriété. Les sonorités d’armonica de verre qui font la marque de cette bande originale, plongent dans une atmosphère singulière. Une fois encore, l’univers musical et l’inventivité de Morricone fascinent. Il réussit à faire oublier l'ambiguïté de la relation amoureuse et sexuelle entre Humbert Humbert et Lolita au profit d’une sublimation de l’aventure. De la mélancolie du thème d'amour (Love in the morning), au thème de Lolita, déchirant, sublime et tragique, sans oublier celui de Clare Quilty, inquiétant et ambivalent, le musicien s’exprime d'une main de maître.
Cette bande originale n’est pas la plus célèbre de sa production, et pourtant sa beauté, sa tendresse et son ambiguïté sont irrésistibles. Une fois de plus, cette partition méditative émeut aux larmes.

Photographie du film Lolita d’Arian Lyne (1997) avec Jeremy Irons dans le rôle d’Humbert Humbert et Dominique Swain dans le rôle de Lolita.

No.1:
Pour terminer, revenons sur l’une des scènes les plus inoubliables du cinéma. Une bande de gamins gambade dans les rues américaines. Costumes, cravates, fedoras, knickerbockers et casquettes en tweed. Ils transportent avec eux la joie et l'excitation. Plan large et silhouettes minuscules devant le pont de Brooklyn - probablement un des plus grands plans de cinéma -. Soudainement, tout bascule : un truand du nom de Bugsy débarque dans l'ombre d'une ruelle, arme en poing, et s’apprête à tuer. À l'époque, le trafic d'alcool est un business où il faut se salir les mains, et la concurrence n'est pas appréciée. La musique bondit, implacable et pétrifiante : les cuivres rugissent, le pupitre des cordes vibre de trémolos angoissants et la mélodie de flûte de pan perce dans l'aigu. Bugsy tire plusieurs coups en direction du groupe des jeunes trafiquants et abat Dominic, le cadet de la bande. Quelques secondes après, il s’éteint dans les bras de son ami Noodles : « I slipped ».

Image du film Il était une fois en Amérique de Sergio Leone (1984).

Dans cette partition, Morricone excelle et atteint son paroxysme. Il s’agit de son ultime collaboration avec son ami Sergio Leone, et il nous prouve à quel point leurs univers se correspondent. Il était une fois en Amérique demeure une référence. Chaque intervention de la musique dans le film est bouleversante, que cela soit grâce au magnifique thème de Cookeye, aux sonorités graves du thème de la pauvreté, à Amapola utilisé ici comme thème d'amour ou encore à l’inoubliable thème de Deborah, mélodie bouleversante et lancinante qui traverse le récit et poursuit le spectateur jusqu'au regard caméra de Robert de Niro, dernier plan énigmatique du film.

Image du film. Robert de Niro dans le rôle de Noodles.

Telle est la force de la musique de Morricone. Fondue dans l'image cinématographique, elle marque au fer rouge les mémoires. Imprégnée du caractère et de l’histoire des personnages, elle possède une identité à part entière, et donne une continuité à leurs paroles.
Le compositeur avait très vite compris le rôle de la musique au cinéma. Son talent, son inventivité et son intuition mélodique inépuisable ont apporté, dès ses débuts, un caractère unique à la musique de film. Rien n’avait de secret pour lui. Que ça soit dans le domaine du western, du thriller, du drame, de la comédie ou encore de l’horreur, il a toujours su donner le meilleur de lui-même, marquant les générations, influençant les musiciens, les compositeurs et même les réalisateurs.

 

Publié le : 10/07/2020 à 15:01
Mise à jour : 11/08/2020 à 08:56
Auteur : Yann Bertrand
Catégorie : Focus

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